BOUT DU NEZ

Le bonheur n’est pas « au loin ».
« Là-bas », au milieu des fleurs et de lagons.
Inutile de pédaler 8000 kilomètres.
Fantasme d’impuissance.
Qui vise à confondre la quête du beau avec celle de la quiétude.

Le bonheur ni ne se monnaye,
Ni ne s’échafaude à force d’objets et de boulimie des sens.
Le confort, si.
Ce dernier, je le nommerai « Le bonheur acquis ».

Alors que je vous parle du bonheur inné.
Le nu.
Celui des sensations de cervelle.
Ou charnelles.

A PLAT VENTRE

…Je ne faisais rien.
Rien du tout.

C’est exactement ce qu’il faut faire.
Pour que tout commence.

Je ne faisais rien…
…faux !…
…archi-faux !…
…assis dans la pente, je regardais…
…j’observais…
Je ressentais la chaleur printanière d’un soleil en avance sur son temps…

…devant les yeux ouverts, rien ne bouge….
…faux !..
…archi-faux !
Les nuages bougent.
Les feuilles bougent.
Les gens marchent.
Les vaches marchent. Elles pissent debout. Sans pudeur.
Les parapentistes volent.
Un papillon, c’est normal d’être déjà là ? je lui demandais du regard….et toi ?..y’m’dit..tu fais quoi ? ..tu papillonnes ?…est ce que c’est normal ? …
Le papillon sourit….je lui réponds que c’est Dimanche. Que oui, c’est normal…
….c’est dimanche pour tout le monde tu vois me lança t’il !…j’ai entendu ses mots mais j’avais perdu sa trace dans l’azur. Bleu sur bleu, sacré camouflage…
….fin de la conversation…

….Je ne faisais donc pas rien. Et autour de moi, déjà une grosse pagaille….un beau bordel…et je ne parle pas de la course du soleil.
Disons que, de loin, j’étais immobile. Un art primaire.
Bousculé par une vie secondaire.
La survie y’disent à la télé…

…et puis, me voilà à m’exciter…après une bonne heure à ne « rien faire »…
…assis, debout, couché.
A plat ventre. Genoux mouillés. C’est toujours l’hiver.
Le soleil n’a pas encore le temps d’essorer.
Et le vent d’ange de ce dimanche n’a que la force de nous caresser.
De nous rafraîchir même….
…..à plat ventre…

….devant moi, là, immobile.
En apparence .
En apparence seulement.
Car, si tu te penches encore un peu plus, pantalon tout mouillé, tu vois que, depuis une heure que tu es là, à côté, il y a une touffe qui joue avec les rayons du soleil. ..

Ses couleurs ne sont jamais les mêmes…
…là, à côté de moi, une boule à facettes qui sort de terre…
La touffe est joueuse.
La touffe est discrète.
Ignorée même.
Sans charme dit on.
Basique….
C’est mal la connaître !!..

Et c’est à cet instant là que nous nous sommes rencontrés, les antennes et moi.
Coup de foudre.
Je n’ai pas fait exprès.
Je ne les avais pas vues dans la lumière.
Ce sont elles qui se sont invitées en premier plan.
Je ne savais quoi en faire.

Grâce,
Suspension,
Transparence,
Tension,
Étirement,
Douceur.

Soutien.
Ensemble…..me demandait de les prendre en photo.

Un clic d’une facilité déconcertante.
Le travail consistait à cadrer.
La profondeur s’imposait d’elle même.
La nature a fait le reste.
J’étais couché devant elle.
C’est un minimum.
A plat ventre devant la planète.
Il me semble que tout est donc dit.
Encore une fois.
La nature est belle.
En se levant.
En se couchant.
En ne faisant rien.

Inutile de vouloir nous surélever pour voir plus loin,
Ou plus haut que le voisin.

Le beau est à nos pieds.
Il est toujours harmonieux. Équilibré.
Modeste. Discret. Élégant.
Au « pire » chatoyant…

Simple.
C’est l’homme qui est compliqué.

DEUX SANGS

Cœur battant,
Sang rouge et noir,
Les mains inondant,
La bouche, le regard,
Bras et pieds ballants,

Fermés, révulsés, les yeux crevés ,
Les chairs s’élèvent, dégoulinant,
Des tâches de sang,
Sur le papier, éparpillées,
Collées, séchées, figées, au firmament.

L’eau coule et caresse les plaies,
Un bruit sourd, une veine zèbre sa peau,
Le rouge et l’onde fondent en violet,
En cristal de billes puis bouteille de verre dans le ruisseau,
Immobile, squelette dénudé, évaporé,
Voyageur sur ce radeau,

Masse océan noir-bleue,
Charriant la pépite de sang, d’or et d’argent,
Il descend, sombre, s’isole dans ce creux,
Miroir englouti du paradis du vent,
Il s’envole à deux.

COTONSPHÈRE

Le corps peut guérir.
Pas l’esprit.
Les maux de l’âme,
Les mots à lames et à larmes l’envahissent.
Ils n’offrent pas de répit.

Le corps se repose.
Pas l’esprit.
Ils ne sont pas ennemis,
Non.
ils vivent au même endroit.
Séparément.

La tendresse est la réponse aux tourments,
Elle est plus forte qu’eux,
Elle se confronte.
Ils s’étendent,
Aussitôt, elle grandit un peu plus.
Ils se multiplient,
Elle recouvre,
Elle enveloppe,
Sans contraindre.

Autorise moi à cette heure, dit l’homme, à poser mes mains sur le rond de tes fines épaules de femme,
A rapprocher ce corps d’être vers le mien,
Les têtes et le souffle proches,
Et à te serrer là, sans rien casser.
Ni rien briser.

La tendresse est la réponse.
Elle est l’amour à sa manière.
De l’amour en doux.
Sans les pics et sans les trous.
Sage, elle n’est pas altérable.
Le canif nulle part ne l’a percée et n’y laisse l’air rentrer et la rouiller.

Muette, silencieuse, chaleureuse, elle sait voler aussi haut que les frissons.
Elle est le goût des émotions fortes.
C’est elle qui reste lorsque le vent a emporté.

Elle domine le monde.
Le corps et l’esprit font tronc commun ici : images et toucher se rejoignent dans le creux de l’inaltérable.
Celui formé par ces deux mains.
La tendresse, force de nos lendemains.

Autorise moi à te serrer délicatement dit l’homme.
« Infiniment lentement » disait Jacques.
Le temps de recouvrir.
D’envelopper.
Sans contraindre.

PLUME AU CUL, PLUMEAU CUIT.

…Le monde de l’encre, l’encre-deux-mondes, est un refuge autorisé. La plume posée, il laisse en paix. Chacun et chacune.

LA PLUME.

La plume glisse, en goutte à goutte, en perfusion, en mots de pas tous les jours, en encre marine , en filet d’en-sang-ble.

Emmurée d’une bulle transparente, elle coule sur ces parois rondes. De limites, elle n’en a que l’idée et ne les voit pas.

Elle se promène sur ces toiles d’argent. Elle tourne et se laisse décrocher, glisser. S’accroche dans les montées. Zigzague pour y arriver puis redescend pour jouer avec les mots.

Les bulles s’accumulent. S’amoncellent. Elle y plonge dedans. La plume crisse. En rythme. En musique. Dans la digue des bulles…la digue don don… La digue profonde.

Ou elle s’enfonce.

De liane en liane, de liaisons en liaisons, d’accords d’accords et point de terminaison.

Point de fin. La plume a faim.

Elle s’alimente du ventre et mange les maux.

Et m’emmène là-haut, là bas. Sur la p’lune.

La main et sa plume, tous petits, tous les deux, en plis et en bosses, dans un nuage creux,

La plume grave son chemin d’ouate, le coton est son marbre,

Le vent s’est posé. La plume immobile.

L’écriture en l’air, l’air de rien, juste l’air pour respirer, se confond avec le blanc. Fissure, creuse, gratte, effiloche la brume d’haut,

Taille en rocher son enclos,

Là-haut,

La plume en marteau,

La plume en ciseaux,

En pinceaux,

Le papier en toile de m’Etre,

En bleu, en blanc, en transparent, en multimotscolore, en sang,

Qui, dans la plume et dans nos veines, pluriel de notre chance, coule en os-mots-se,

Globules rouges,

Rouge d’encre marine,

Rouge aimant des mots,

La plume tisse les peaux, tatoue les creux, éclabousse et remplit les trous,

La plume glisse, en goutte à goutte. A remplir un océan.

Concasse la prison Récurrence et son maton l’Habitude,

Elle titube, se lance en belle attitude,

Se dresse et sourit à se voir répandre,

Une encre est noire mais pas sombre,

Même hésitante, elle se sait le centre d’un monde,

Car si ne plus écrire est ne plus respirer.

Alors, casser sa plume est casser sa pipe.

LE PIC EST UN CAP

Les hautes montagnes ne sont pas entourées du vide de la chute meurtrière,

Elles sont une pointe au-dessus,

Au lointain d’un équilibre qui les rend fières,

Et contribuent à la beauté du point de vue.

Leur ascension est faite pour être gravée,

Poser au plus haut notre caillou,

Tombera la neige et lui en dessous,

Qui le recouvrira pour l’éternité, pour qu’il ne soit jamais défloré,

Jamais égalé.