L’urgence est une fuite en avant, une échappatoire à une communication défaillante, une réponse à un vide intellectuel total, à l’égoïsme naturel.
Une alternative qui fait croire à chacun qu’il est important et qu’il a un rôle à jouer dans la société. Et pourtant, plus nous sommes dans l’urgence, plus nous sommes transparents, dominés et inexistants.
A partir du moment où l’individu arrive à mettre son égo de coté, il se sent moins contraint de jouer dans cette grande pièce de théâtre où tout doit aller vite. Moins contraint par le regard de l’autre et de son jugement sur votre capacité à suivre le rythme imposé dont on se demande, si il était réduit, si cela changerait quelque chose à l’ordre des choses.
Je suis né professionnellement il y a 15 ans et le monde allait beaucoup moins vite et il tournait. Mais il tournait déjà plus vite que 10 ans en arrière. Certains étaient déjà dépassés.
D’autres sont nés professionnellement il y a 25 ans et le monde allait encore beaucoup moins vite et il tournait. Mais il tournait déjà plus vite que 10 ans en arrière. Certains étaient déjà dépassés.
En 2016, notre planète, modulo quelques endroits isolés, non « connectés » mais envahis par des caméras impudiques, tourne à une vitesse d’emballement : celle de la capacité technologique. Et je ne vois pas ce qui va l’arrêter, c’est bien là un des problèmes majeurs de notre civilisation.
Et là, bémol, le cerveau humain, la nature humaine ne me paraissent pas adaptés au monde des Gigabits. Ou dépassés. Non pas en termes de compétence mais en termes de vitesse.
Alors, chacun s’accroche. En particulier dans les sociétés dites modernes et « technologisées ». Imaginons un manège tournant lancé à grande vitesse avec des hommes et des femmes : plus le manège tourne vite, plus les gens lâchent et sont éjectés; revenons sur Terre et comprenons que seuls, à un instant t, restent les plus jeunes et génétiquement adaptés à la normalité du moment, les plus résistants intellectuellement, les plus malins qui auront trouvé une cachette, les plus fourbes qui poussent les autres par leur inaction ou leur lâcheté. Mais, à l’instant t+1, pour ces résistants, ces malins, ces fourbes, ces jeunes, le monde accélère encore. A titre personnel, je me plais à imaginer que, pour les fourbes, en plus de tomber, ils se fassent laminer et marcher dessus. Broyer.
Il n’y a bien que l’épreuve de santé, la maladie, le handicap, la catastrophe physique et naturelle qui ramènent l’individu à sa condition d’éphémère. Pas longtemps. Sauf si c’est toi qui devient handicapé, malade ou qui perd tout. Finalement, à mon sens, pour s’y retrouver, en évitant de redevenir « intelligent » dans les conditions « catastrophiques » évoquées, pour discerner le courant de l’urgence, encore faudrait il que chacun retrouve un sens à son activité et à ses actions. En gros, savoir ce qu’on fait et pourquoi on le fait. Si c’est pour avoir plus que le voisin, pour montrer, pour posséder, c’est « mort ».
Première étape, posons nous la question. Seconde étape, acceptons de ne pas tout posséder : de faire des « sacrifices », de laisser tomber, de mettre de coté, d’oublier, de dire « tant pis ».
La réponse au monde global de l’urgence est une réponse individuelle car rien n’arrêtera la technologie et la soif du plus.
Si l’individu arrive à se concentrer sur ses besoins propres, alors il arrivera plus facilement à maîtriser sa propre vitesse sans être éjecté de sa société.
Il ne subira plus l’urgence. Il est capable de voir. Il vivra « pour » et non plus « avec » ou « à coté ».
Parallèlement, le monde des Gigabits offre des conditions sanitaires améliorées : notre société soigne de mieux en mieux des gens qu’elle contribue copieusement, de plus en plus, à abîmer.