LA MARCHE A BIAIS

Le biais cognitif  trompe le cerveau. Il existe tant et tant de sortes de tromperies que, finalement, nous marchons de biais. Tenter de comprendre et corriger ces tromperies nous ferait pencher de l’autre coté. Toujours en biais.

Nous titubons alors.

A tel point qu’il est raisonnable de se tromper de penser que le monde avance aussi de biais. L’état de la planète, l’état de nos passions, de notre environnement proche, de notre chez soi sont le fruit de la marche à biais. Une addition d’erreurs heureuses ou malheureuses. Mais, à aucun moment, maîtrisées.

Nos rencontres seraient le croisement de ballades à biais qui se termineraient bien à priori.

Ou pas.

Je fais l’erreur de croire que la plus belle ballade à biais est la ballade de la vie à deux. Avec, comme point de départ,  un face à face chanceux où deux regards se croisent et osent imaginer, au même moment, au même endroit, que le hasard a bien fait les choses.

Alors que, finalement, ils n’ont fait que marcher de biais l’un et l’autre jusqu’à se tamponner pour se redresser. S’assembler pour ne faire qu’un.  Puis repartir de guingois.

A biais.

LA BIERE

Le jour de ma mise en bière, allez en boire une.
Ça ne devrait rien changer.

Allez manger un morceau. Au soleil. Sous la lune.
Ça ne devrait rien changer.

Dites juste que c’était un brave gars. Allez courir jusqu’à la prochaine dune.
Ça ne devrait rien changer.

Et si j’ai soif dans mon nouveau bateau de fortune.
Je viendrai. Gardez moi une place à vos cotés.

SOUPIR

Que reste t’il ?
Ce sentiment d’avoir été droit. Parfois gauche,
Cet air que l’on respire qui nous manque déjà,
Ces êtres que nous protégions, qui sont là,
Qui savent alors que tout sera plus moche.

Que reste t’il ?
Au matin, café, nuages, rosée et perles d’or,
Nous immobiles, la planète continue son effort,
Quand arrive le soir, leurs bras, leurs mains encore,
Sous les lumières qui projettent leurs corps.

Que reste t’il ?
De la bouche, ce mot qui sort,
Je t’aime encore plus fort,
Des images, les ombres, ces visages découpés à l’aurore,
Mais il est tard et tu t’en vas comme tu t’endors.

Ȏ RAGE

La colère n’est pas que mauvaise conseillère.
La colère est une tempête de l’âme. La tempête emporte avec elle les feuilles; elle lave le sol.
Après son passage, le temps est suspendu.

La colère solitaire est aussi salvatrice que la colère donnée en spectacle est dévastatrice.

Alors, il faut s’isoler.

Se préparer à cet instant de démence car vous savez qu’il est là, qu’il doit survenir. Vous savez qu’il va falloir déchirer la chemise et s’insulter du regard. Il ne faut pas le laisser passer car vous en avez besoin. Il faut l’affronter sous peine de reculer encore un peu plus.

Accrochez vous à un bout de mur. Vous transpirez déjà.

Plantez vos pieds dans le sol pour vous préparer à l’affrontement de votre visage dans la glace.

Car vous allez regarder monter cette tempête dans le fond de l’œil en observant autour de vous ce silence éphémère.
Rien ne bouge. Mais, tout près maintenant, c’est une puissance immense qui vibre.
Vous sentez le vent arriver, s’engouffrer dans les bras, le haut du corps. Laissez le s’infiltrer partout.
Jusqu’à ce que les yeux, même les plus clairs, deviennent noir cyclone. Que la mâchoire soit figée et carnassière; prête, instantanément, à hurler ou à arracher.

Le vacarme commence à envahir le corps, les pieds se figent, les mains s’accrochent.

Les pupilles ont disparu. Il n’y a plus que ce noir tueur à la place des yeux : vous ne voyez plus que ces deux gouffres. Tout le reste est flou; le corps, les murs. La lumière vous aveugle.

La colère est noire et elle est en vous. Vous êtes la colère; elle vous a pris le corps et la raison. Vous êtes enfin hors de vous. D’une force incroyable. Enfin transformé par le désespoir, la tristesse, l’injustice, la jalousie, vos incapacités. Votre dégoût de vous.

Quel bonheur d’atteindre l’état second sans autre artifice qu’un dégondage hermétique du cerveau ! Une perte de soi. Seul.
Vissé au sol, chevillé des yeux.
Vous êtes une bête. De la pire des espèces.

Dans un silence total et le bruit assourdissant des mots. Car les mots arrivent. Si vite que rien ne saurait les capter, les poser. Ils sortent du ventre. Ils fusent. Un vacarme de colère. Un déchaînement qui emporte la raison, les passions, l’éducation. Ce sont les mots qui cognent, qui frappent. Les bras les accompagnent. Le corps se plie. Certains de ses mots silencieux sont capturés par la bouche, ils sortent et viennent gifler le visage. Reviennent. Rendent le regard plus noir encore.

Vous transpirez sur le torse, dans le dos.

Vous réglez vos comptes. Vous ne devez à aucun moment sortir de la transe sans avoir décidé, acté.
Vous devez cogner jusqu’à ce que cette haine se heurte à vos convictions nouvelles, à une volonté métallique.

Seul votre regard saura quand vous aurez gagné votre combat. Et tant qu’il n’est pas franc, empli de fierté, alors, vous devez relancer. Retrouver ce regard noir, coûte que coûte. Jusqu’à l’épuisement. Retrouver cet espace où la folie est mère créatrice. Ou tout ce qui dégueule sera votre nouvelle nourriture de l’esprit.

Et quand ce regard sera franc, cerné, tracé par l’effort intense de concentration, alors vos genoux vont flancher. Vous savez à ce moment que vous êtes autre.

Qu’il va falloir respecter vos engagements.

Car, seulement à cet instant, vous avez franchi un cap. Surmonté le désespoir, la tristesse, l’injustice, la jalousie, vos incapacités. Votre dégoût de vous. Vous vous êtes donné les moyens de faire autrement, d’oublier, de corriger. D’accepter pour ranger. Pour vous débloquer.
Pour changer. Pour surmonter les douleurs de l’âme.

Une telle colère ne s’improvise pas. Car elle a l’ambition du changement.
Et quand vous aurez décidé de mener cette colère, pensez la. Sentez la venir. Décidez du moment de l’implosion solitaire.

Ma prochaine se prépare. Elle est là. Créée sur le terreau d’une tristesse qui ne s’efface pas. Seule sa violence qui m’impressionne déjà retarde le moment. J’ai déjà le regard noir. L’orage monte. Les éclairs zèbrent…le vent se lève.

Mais, après son passage, les genoux certainement au sol, le temps sera suspendu.